La tâche est immense. Et la guerre en Ukraine est venue nous rappeler que le rôle essentiel dévolu à nos pêcheurs est de nourrir la population. La récente crise sanitaire avait déjà sonné comme un avertissement en mettant en exergue notre dépendance aux importations. « Trois jours. C’est la durée des stocks alimentaires dans les grandes surfaces en cas de rupture d’approvisionnement. » Dans ce contexte, la souveraineté alimentaire est revenue au premier plan des préoccupations alors qu’on pensait son spectre éloigné de nos sociétés, comme si les rayons des supermarchés pouvaient être indéfiniment achalandés.
La souveraineté alimentaire est envisagée comme un droit pour les populations à décider de leurs propres stratégies et politiques pour garantir leur sécurité alimentaire tout en considérant les effets sur les autres. Il s’agit d’un concept global où social, économie, politique et environnement sont étroitement mêlés, et qui suppose une capacité d’accès aux ressources nécessaires pour répondre aux besoins des populations. D’après Olivier de Schutter, ex-rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation de l’Organisation des Nations unies, un consensus existe à présent « sur le fait qu’il faut aider chaque pays à se nourrir lui-même, et que la question de l’alimentation ne pourra pas être résolue par la concentration de la production dans les régions les plus efficientes, l’aide et le commerce international. »
La pêche, en assurant un approvisionnement constant en aliments frais et locaux, joue un rôle essentiel dans la souveraineté alimentaire en contribuant à l’approvisionnement en protéines et en nutriments essentiels (acides gras, oméga-3, vitamines et minéraux). Cette constance est cruciale pour notre souveraineté alimentaire, car elle nous permet de réduire notre dépendance à l’importation de produits de la mer.
Pour de nombreux consommateurs, la crise de la Covid-19 fut l’occasion de découvrir les circuits courts. Avec cette crise, beaucoup de français ont voulu changer leurs habitudes et découvert la vente de proximité. Des pêcheurs ont établi des points de vente éphémères ou livrés leurs clients, pour continuer à vendre le produit de leurs pêches, malgré la fermeture des circuits de ventes habituels. Avec des mesures d’hygiène renforcées et un peu d’inventivité, les pêcheurs ont, ainsi, continué d’approvisionner les consommateurs durant le confinement.
Pour de nombreux consommateurs ce fut une prise de conscience : on peut faire ses courses autrement, manger des aliments frais, de saison, pêchés localement. C’est simple à mettre en œuvre, moins cher, bon pour la santé, positif pour l’environnement et l’économie de son territoire. Et de plus, c’est convivial : bien manger, c’est du lien social, et pas seulement à table.
La réduction des dépendances à l’importation de produits de la mer ne peut se faire sans générer de la création de valeur : payer un juste prix c’est autant reconnaître la qualité des produits locaux que soutenir l’investissement des pêcheurs. Mais ce n’est pas le seul impact social d’une amélioration de l’indépendance de nos territoires. La pêche génère des emplois locaux, on évoque le chiffre de 1 emploi en mer générant 4 emplois à terre. Ces emplois contribuent à la stabilité économique, à la réduction de la pauvreté et à la création de liens sociaux durables.
Mais ce n’est pas tout, la pêche artisanale et traditionnelle repose sur des connaissances et des pratiques ancestrales transmises de génération en génération. En valorisant ces savoir-faire et en les intégrant dans des solutions durables, nous préservons (ou remettons au goût du jour) la diversité culturelle et les traditions alimentaires.
Mais il ne serait pas raisonnable de penser que l’on peut s’alimenter exclusivement en local. Actuellement, dans nos assiettes, ce sont des origines lointaines qui dominent. La France importe des espèces qu’elle ne pêche pas ou peu et exporte beaucoup de produits de la mer de Méditerranée vers l’Italie ou l’Espagne. Le saumon et le cabillaud sont les espèces les plus consommées au bord de la Méditerranée française, alors que ces poissons viennent souvent de très loin. Saumon, cabillaud et crevette rose qui sont les espèces les plus consommés en France sont issus à 70% de l’importation. Mais on l’a vu pendant la crise du Covid-19 : la résilience suppose de la diversité. Il faut du circuit court et du circuit long, du local et du non local. Il est essentiel de gérer ce rééquilibrage en comprenant mieux l’origine de nos produits, en favorisant la relocalisation et en transformant les dépendances en partenariats volontaires. Nos côtes regorgent d’espèces moins connues des consommateurs et pourtant elles mériteraient de l’être.
Adopter de bonnes pratiques alimentaires, commence par « bien faire ses courses », en achetant des produits de saison et si possible issus de la pêche locale. Les circuits courts et de proximité favorisent le dialogue entre producteurs et consommateurs, la transparence de l’information. Les circuits courts et de proximité entraînent souvent des pratiques plus vertueuses parce qu’ils permettent de mieux valoriser les bonnes pratiques, économiquement comme socialement. Reconnaissance, valorisation économique et pédagogie : c’est cette série de mécanismes qui tire la pêche et l’alimentation vers le haut.